J. Béguin u.a.: Deux siècles de luttes

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Titel
Deux siècles de luttes. Une brève histoire du mouvement socialiste et ouvrier en Suisse


Autor(en)
Béguin, Jérôme; Pierre, Jeanneret
Erschienen
Genève 2012: Gauchebdo
Anzahl Seiten
64 p.
Preis
URL
Rezensiert für infoclio.ch und H-Soz-Kult von:
Blaise Fontanellaz

Avec ce petit volume, Jérôme Béguin et Pierre Jeanneret nous emmènent dans une histoire vivante du socialisme en Suisse. Richement illustré, cet ouvrage est composé de 16 articles qui ont été publiés dans Gauchebdo de 2010 à 2011, et aborde les principales étapes du mouvement ouvrier dans notre pays. Pour ce faire, nos deux auteurs font appel, avec aisance, à l’ensemble des sous-disciplines de la science historique.

Les principaux événements marquants l’histoire politique du mouvement ouvrier helvète sont bien présents: l’émergence de partis socialistes cantonaux à la fin du XIXe siècle, souvent issus de l’aile gauche radicale; la grève générale de 1918; la naissance du Parti communiste suisse en 1921, faible à ses débuts à cause de la persistance d’une aile gauche et soviétophile à l’intérieur du Parti socialiste suisse; puis de celle du Parti suisse du Travail en 1944 comme parti de rassemblement avant de s’arrimer à Moscou dès 1949. Cela débouchera, entre autres, sur l’émergence de mouvements «gauchistes» concurrents, dont SolidaritéS est l’héritier. Enfin, l’intégration du socialisme démocratique dans le pouvoir helvétique est abordée avec la Paix du travail en 1937 puis l’accession du Parti socialiste suisse au Conseil fédéral en 1943.

De grandes fresques d’histoire économique et sociale sont brossées avec talent, dont la révolution industrielle; la condition ouvrière au XIXe siècle où l’on apprend notamment que: «le travail en fabrique se caractérise par les bas salaires et le nombre d’heures de travail élevé: 12-14 heures par jour dans les ateliers suisses vers 1850» (p. 8) ; l’essor des coopératives; la crise des années 1930 où les socialistes suisses se démarquent des bourgeois par des politiques proactives notamment à «Lausanne-la-Rouge», avec l’exemple de la construction des bains de Bellerive-Plage; et pour finir les Trente glorieuses qui amènent une amélioration conséquente du statut socioéconomique de la classe ouvrière helvétique, remplacée progressivement par des travailleurs immigrés.

Empruntant à l’histoire des idées politiques, Pierre Jeanneret dresse de soigneux portraits de l’anarchisme et de socialistes utopiques. On regrettera toutefois que ce tour d’horizon ne comprenne pas les figures de Karl Marx, Lénine, Trotski ainsi que de celles de socialistes réformistes (Eduard Bernstein par exemple). À cheval entre l’histoire de la pensée politique et l’histoire religieuse, la question du christianisme social puis du socialisme chrétien est abordée avec beaucoup de finesse d’analyse. En ce qui concerne le protestantisme l’auteur révèle qu’ : «[…] il faut souligner l’influence profonde qu’a exercé le protestantisme sur nombre de socialistes et même de communistes romands, tout au long du 20e siècle. Leur engagement a souvent puisé, initialement, aux sources de la parole évangélique, en se fondant sur le potentiel libérateur et révolutionnaire de plusieurs textes bibliques» (p. 20). Ce portrait aurait par ailleurs mérité une incursion dans le monde des mouvements chrétiens-sociaux, très actifs sur la question sociale dans les cantons catholiques, tout en étant rattaché pendant longtemps à la démocratie chrétienne.

L’un des grands apports de cet ouvrage est sans doute celui de la dimension culturelle. Il nous fait voyager dans les «cathédrales du prolétariat». La Maison du Peuple sera donc ainsi «un édifice de classe, un monument au service du prolétariat» (p. 30) alors que la culture ouvrière «se veut une contre-culture, opposée à la culture bourgeoise dominante» (p. 23) sans toutefois que les auteurs expliquent suffisamment l’intégration progressive des ouvriers à la communauté nationale.

Des éléments de culture prolétarienne sont présentés comme les fanfares, les éclaireurs, les chalets de vacances, les universités populaires, le sport, la lutte contre l’alcoolisme ou encore le théâtre. Ces éléments identitaires, disparus, sont regrettés par Jérôme Beguin et Pierre Jeanneret. Notons que le mouvement ouvrier n’est pas le seul à avoir subi ces transformations, si on pense à la mise en désuétude des associations, religieuses pour le Parti démocrate-chrétien, et patriotiques pour le Parti radical-démocratique devenu Parti libéral-radical.

À la suite de la lecture de cet excellent ouvrage, on se permettra quelques critiques constructives. On notera un engagement axiologique, voire militant, des auteurs qui se traduit notamment par une utilisation importante et presque unique de l’économie comme variable explicative, révélateur de l’approche marxienne utilisée.

On constatera également que certains sujets critiques ne sont pas traités ainsi pour la question de l’intégration problématique des travailleurs étrangers au sein du mouvement ouvrier suisse, fluctuant entre rejet et solidarité.

Le communisme occupant une place prépondérante dans l’ouvrage, une mise en perspective comparée du communisme suisse se ferait souhaitable, notamment à l’aide de l’historiographie française et européenne.

Enfin la dimension électorale des partis étudiés est absente et c’est dommage. Connaître l’électorat passé et actuel permettrait de comprendre les mutations des partis de gauche et le transfert des voix populaires à l’Union démocratique du centre, ce que la science politique s’efforce de faire depuis de nombreuses années.

Relevons une fois encore la qualité de cet ouvrage complet et pratique, tout de concision et de pédagogie, qui en fait une oeuvre incontournable venant enrichir la littérature sur les partis politiques suisses, encore incomplète. Enseignant, chercheur, étudiant ou simple citoyen, ce livre est d’indéniable intérêt pour toute personne qui s’intéresse au mouvement ouvrier dans notre pays, et plus largement, à la politique.

Zitierweise:
Blaise Fontanellaz: Compte rendu de: Jérôme BÉGUIN, Pierre JEANNERET, Deux siècles de luttes. Une brève histoire du mouvement socialiste et ouvrier en Suisse, Genève: Gauchebdo, 2012. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 121, 2013, p. 304-305.

Redaktion
Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 121, 2013, p. 304-305.

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